L'électrocardiogramme (ECG)

Le tracé électrocardiographique (ECG) est une forme de visualisation des tensions électriques (potentiels en mV) qui résultent de l'excitation du cœur. Ces signaux sont obtenus à partir de points bien précis situés sur la peau (dérivations). L'ECG exprime donc les événements électriques de l'excitation cardiaque et peut renseigner sur l'état du cœur. la fréquence de battement, la nature et la genèse du rythme, l'extension et les effets de l'excitation, ainsi que sur les perturbations éventuelles, que celles-ci soient d'origine anatomique ou mécanique, qu'elles concernent des altérations tissulaires ou des perturbations de la circulation sanguine. Les variations des concentrations électrolytiques et les effets de certains agents pharmacologiques (par ex. la digitaline) peuvent être détectés sur l'ECG. L'ECG n'apporte aucune information directe sur la contraction proprement dite, ni sur la fonction de « pompe » du cœur. Pour analyser ces éléments, il faudrait recueillir des informations sur la pression sanguine, le débit sanguin et les bruits du cœur.

On admet que les potentiels dérivés à la surface du corps naissent à la limite entre ta zone excitée et celle non excitée du myocarde, c'està-dire que la courbe ECG rend compte du mouvement de ce front d'excitation. Un myocarde non excité ou totalement excité se manifeste par un potentiel ECG nul (= ligne de base).

Pendant la progression du front d'excitation à travers le muscle cardiaque, se constituent des potentiels de formes diverses qui se distinguent par leur taille et leur direction. Ces grandeurs orientées sont des vecteurs : ils sont représentés sur un graphique par des flèches plus ou moins longues selon la valeur absolue du potentiel ; la direction de ces flèches exprime la direction du potentiel (point de la flèche : +).

Comme dans un parallélogramme de composition de vecteurs force, on peut déterminer un vecteur somme. Le vecteur somme des potentiels d'excitation cardiaque varie tout au long du cycle d'excitation tant en taille qu'en direction ; la pointe du vecteur résultant décrit une trajectoire en lacet. Le vectocardiogramme visualise directement ces « lacets » sur l'écran d'un oscillographe cathodique.

L'étude du décours temporel du vecteur résultant est obtenue en clinique par l'examen des dérivations des extrémités et des dérivations à partir de la paroi thoracique. En d'autres termes, chaque dérivation ECG donne une image unidirectionnelle du vecteur résultant et, de ce fait, deux dérivations (3 points au moins) déterminent un plan dans lequel elles indiquent l'évolution du vecteur résultant (il s'agit le plus souvent du plan frontal) ; une représentation tridimensionnelle du vecteur résultant nécessite au moins l'addition d'une dérivation à partir d'un autre plan.

Il faut encore ajouter que les amplitudes des potentiels ne sont comparables d'une dérivation à l'autre que si la résistance entre le cœur et chacun des points de mesure est la même (elle dépend de la distance et de l'état des tissus); cette condition est à peu près remplie pour les trois dérivations standards des extrémités. Pour la représentation vectocardiographique, les différences de résistance doivent être corrigées par l'addition de résistances dans tes circuits de mesure (dérivations orthogonales corrigées de Frank).

Les dérivations électrocardiographiques standards I, II, III de Einthoven sont des dérivations bipolaires dans le plan frontal. Pour les obtenir, on place des électrodes sur chacun des deux avant-bras et sur la jambe gauche. On examine l'évolution temporelle de la différence de potentiel entre les deux bras (I). entre le bras droit et la jambe gauche (II), et entre le bras gauche et la jambe gauche (III).

Les dérivations unipolaires de Goldberger sont aussi des dérivations dans le plan frontal. Ces dérivations sont obtenues également à partir des deux bras et de la jambe gauche, cependant, ici, deux électrodes sont reliées ensemble (par des résistances) et servent d'électrode de référence par rapport à la troisième. La dénomination des électrodes de Goldberger est la suivante : aVR = bras droit. aVL = bras gauche et aVF = jambe gauche.

Le tracé ECG comporte plusieurs déflections (ondes), une incursion vers le haut étant notée positivement et vers le bas négativement. L'onde P ( < 0.25 mV. < 0,1 s) traduit la dépolarisation des oreillettes. Leur repolarisation n'est pas visible car elle disparaît dans les déflections suivantes. L'onde Q (amplitude < 1/4 de l'amplitude de R), l'onde R et l'onde S (R + S < 0.6 mV) forment ensemble le complexe QRS (< 0.1s) (on l'appelle ainsi même s'il manque une composante) ; celui-ci traduit la dépolarisation des ventricules. Pour le complexe QRS, la convention veut que toute première détection négative soit notée par Q, toute déflection positive (avec ou sans onde Q précédente) soit notée R, et toute déflection négative suivant l'onde R soit appelée S. Ceci peut donner une situation dans laquelle des déflections de QRS portant la même appellation ne sont pas synchrones sur toutes les dérivations. Puis survient l'onde T qui traduit la repolarisation des ventricules. Bien que la dépolarisation et la repolarisation soient des événements opposés, l'onde T est de même signe que l'onde R (positive dans la plupart des cas), ce qui indique que la formation de l'excitation et son extension se font de manière différente.

L'espace PQ et l'espace ST sont normalement proches de la ligne de base du tracé (0 mV). Les oreillettes totalement dépolarisées (espace PQ) ou les ventricules totalement dépolarisés (espace ST) ne produisent aucun potentiel dérivable à l'extérieur du corps. L'intervalle PQ ( < 0.2 s) représente le temps écoulé entre le début de l'excitation des oreillettes et celui des ventricules, on l'appelle aussi le temps de conduction. L'intervalle QT dépend de la fréquence cardiaque et sa valeur est de 0.35 à 0,40 s pour une fréquence de 75/min ; c'est le temps nécessaire à la repolarisation des ventricules.

Selon les diverses dérivations ECG, le vecteur résultant instantané de l'excitation apparaît « sous divers angles ». Une mesure de potentiel sur une dérivation parallèle au vecteur résultant montre, de ce fait, l'extension maximale de celui-ci ; une dérivation orthogonale ne montre, quant à elle, aucune extension (amplitude nulle). Dans les dérivations I-III, le vecteur est observé sous « trois faces » et pour les dérivations de Goldberger sous « trois autres faces ».

Si l'on enregistre des événements contemporains dont les potentiels ont la même direction sur deux dérivations (par exemple l et II), on peut construire la projection du vecteur résultant dans le plan frontal (par exemple pour le complexe QRS) et connaître, de ce fait, l'amplitude des potentiels dans les autres dérivations du même plan frontal (par exemple III). Un procédé analogue permet de déterminer « l'axe électrique du cœur ». On entend par ce terme le vecteur QRS moyen qui représente à peu près l'axe anatomique du cœur lorsque l'excitation se propage de manière normale.

Le potentiel moyen du QRS se calcule exactement à partir de la somme des surfaces des ondes Q, R et S. Les ondes négatives sont déduites des ondes positives. En pratique, il suffit de calculer la somme des amplitudes de ces ondes. Si le calcul est fait sur deux dérivations (par exemple : dérivation l : 0,5 mV 0,5mV = 0 mV et dérivation II : + 1.1 mV; G1), on peut construire « l'axe électrique du cœur » (les valeurs d'une troisième dérivation, la III dans l'exemple choisi, ne seraient d'aucune utilité car elle est déterminée par différence de I et II).

Le « domaine » normal de « l'axe électrique du cœur » s'étend de la verticale (α = + 90°) vers le bas, à un peu plus que l'horizontale en remontant vers la gauche (α = + 30° ; tableau angulaire).

Normalement, on distingue le type droit : α = + 120° à + 90° (fréquent chez l'enfant, il peut être déjà pathologique chez l'adulte) ; le type vertical : α = + 90° à + 60° (G1 ) ; le type indifférencié ou type habituel : α = + 60° à + 30° (G2) ; enfin le type horizontal : α = + 30° à -30° (G3). En pathologie, dominent la rotation axiale droite (α = 120°, lors de la surcharge chronique du cœur droit, par exemple à la suite de certaines affections pulmonaires) et la rotation axiale gauche (a plus négatif que 30°, lors de la surcharge du cœur gauche, par exemple lors de l'hypertension artérielle ou lors des défaillances valvulaires aortiques).

Les six dérivations unipolaires précordiales V1 à V6 de Wilson, associées à celles précédemment décrites, permettent de rendre compte du vecteur résultant en trois dimensions. Elles sont enregistrées à partir du thorax le long d'une ligne à peu près horizontale. L'électrode indifférente est constituée par la réunion des trois dérivations des extrémités. Ces dérivations précordiales permettent de visualiser tout particulièrement les vecteurs à orientation dorsale ; ces vecteurs ne produisent que des déflections minimes, sinon nulles, dans le plan frontal. Etant donné que le vecteur QRS moyen pointe vers le bas, en arrière et à gauche, le thorax (représenté schématiquement comme un cylindre à grand axe vertical) est partagé en deux moitiés par un plan perpendiculaire au vecteur QRS moyen, une moitié positive et une moitié négative. De ce fait, le vecteur QRS est le plus souvent négatif en V1 – V3 et positif en V5-V6.

Dans certains cas particuliers, on peut ajouter aux 12 dérivations standards déjà citées les dérivations suivantes : a) enregistrement «derrière le cœur» par une électrode déglutie, placée dans le tube digestif, b) sur d'autres parties du thorax, notamment dans le dos à gauche (V7 – V9) ou sur le thorax à droite (Vr3 – Vr6).

La repolarisation du ventricule est à l'origine d'une boucle vectorielle propre qui donne l'onde T sur les dérivations. On peut construire dans l'espace un vecteur T. Il fait normalement un angle de moins de 60° avec le vecteur QRS moyen. Avec l'âge, cet angle s'ouvre ce qui semble résulter d'une carence en O2 du cœur. Un angle QRS-T de 180° est pathologique et peut alors correspondre à : 1) une pression ventriculaire exagérée, 2) un bloc de branche, 3) l'effet des digitaliques. La durée du QRS et l'intervalle QT permettent de différencier ces cas.

Lors de l'infarctus (infarctus myocardique), la circulation d'une portion bien précise du myocarde est interrompue. Au centre de l'infarctus, le muscle meurt (nécrose) ; il ne peut plus être le siège d'une dépolarisation. Ainsi, durant les premières 0,04 s de l'excitation ventriculaire, naît un vecteur « particulier » (vecteur 0,04) qui « désigne » l'infarctus. Comme l'infarctus siège le plus souvent sur le cœur gauche, et que le vecteur QRS moyen « pointe » aussi vers la gauche, le vecteur « 0,04 » est en opposition avec le vecteur QRS moyen ; ainsi par ex. lorsque l'onde R positive est grande, il y a également une onde 0 négative plus large et plus profonde que la normale. Entre le myocarde mort et l'environnement sain se trouve une région mal perfusée dont, par conséquent, l'excitabilité est perturbée. Sa repolarisation modifiée conduit souvent dans ce cas à une inversion de l'onde T (négative dans beaucoup de dérivations) ; on dit que l'onde T « montre » la zone ischémiée de l'infarctus. En outre, durant le stade aigu de l'infarctus, l'espace ST est souvent au-dessus (sus-décalage) ou au-dessous (sous-décalage) de la ligne de base (« potentiel de lésion » de la « zone lésée »). Le potentiel de lésion de la région endommagée déforme l'ensemble QRS-T dans le sens d'un potentiel d'action monophasique myocardique. On donne à ce potentiel le nom de « déformation monophasique de l'ECG de l'infarctus récent ». La première anomalie à se normaliser est le sus ou le sous-décalage de ST ; l'onde T anormale reste visible durant plusieurs mois. L'onde « Q de 0,04 s » (Q profond et large) diminue très progressivement ; elle reste ainsi visible des années après l'infarctus.

ECG et électrolytes sériques

Les modifications de concentration de K+ ou sérique entraînent des modifications de Ca2+ d'excitabilité du myocarde et de ce fait « perturbent » l'ECG : si [K+] > 6,5 mmol/l, l'onde T s'accroît en amplitude et devient plus pointue, les troubles de la conduction accroissent la durée de QT, le QRS devient « empâté » et, dans les cas extrêmes, on assiste même à une « pause » cardiaque (arrêt du pacemaker). Si [K+] < 2,5 mmol/l, on constate un sousdécalage de ST, une onde T biphasique (d'abord +, ensuite -) et une onde positive supplémentaire en forme de U apparaît (onde U suivant l'onde T). Si [Ca2+ ] > 2,75 mmol/l ( > 5, 5 meq/l), l'intervalle QT et par là même ST se raccourcissent. Si [Ca2+ ] < 2,25 mmol/l ( < 4,5 meq/l) l'intervalle QT s'allonge.