Bioremediation

La pollution des sols est le résultat d’activités minières et d’industries lourdes, comme l’industrie pétrolière et la sidérurgie, ou d’industries chimiques. Les polluants sont majoritairement des composés organiques (hydrocarbures, composés phénolés et chlorés...) mais la contamination par des métaux est également importante. Elle concerne notamment l’aluminium (Al), le chrome (Cr), le manganèse (Mn), le zinc (Zn), le plomb (Pb), le cuivre (Cu), le nickel (Ni), l’arsenic (As), l’étain (Sn), le cadmium (Cd), le titane (Ti), le mercure (Hg)... .

Certains radioéléments comme l’uranium (U) sont naturellement présents dans l’environnement et peuvent être disséminés lors de l’exploitation de mines ou d’accidents, tel celui de Tchernobyl en 1986. Contrairement aux composés organiques, les métaux et les radionucléides ne peuvent pas être dégradés. La dépollution des sols implique des processus qui visent à diminuer leur biodisponibilité, en évitant leur transfert vers les nappes phréatiques ou les chaînes alimentaires. Pour cela, on peut soit augmenter leur solubilité afin de les extraire du milieu contaminé, soit, au contraire, les immobiliser in situ afin de les confiner. La biodépollution de sols ou d’eaux par les microorganismes repose sur l’exploitation de leurs capacités à réaliser l’ensemble de ces réactions.

Les métaux peuvent être présents sous différents états de valence (degré d’oxydation) et de complexation, auxquels correspondent des comportements différents dans les sols. Les caractéristiques physicochimiques du sol (composition minéralogique, acidité, potentiel d’ oxydoréduction, teneur en matière organique) affectent la forme chimique et donc la biodisponibilité ou la toxicité des métaux. Les microorganismes des sols, et notamment les bactéries, peuvent également modifier la forme chimique des métaux, parfois de façon spectaculaire.

Le développement d’approches moléculaires a permis, ces dix dernières années, d’accroître considérablement nos connaissances de la biodiversité bactérienne. À l’ heure actuelle, plus de 815 000 séquences de gènes d’ARN ribosomaux 16S sont répertoriées et environ 45 000 espèces cultivables sont recensées. Dans un gramme de sol, on peut dénombrer en moyenne un milliard de cellules, correspondant à plusieurs milliers d’espèces différentes.

L’exploration de biotopes variés a révélé la présence de microorganismes dans des milieux extrêmes comme les déserts arides, les glaces polaires, les sources chaudes, les fumeurs noirs sur les dorsales océaniques, mais aussi dans des environnements fortement pollués par l’activité anthropique. Un des derniers dont le génome ait été séquencé, Candidatus Desulforudis audaxviator, est une bactérie chimio-autotrophe qui vit à 2,8 km de profondeur et à 60°C en utilisant comme source d’énergie l’hydrogène produit par la radiolyse de l’eau, résultat de la décroissance radioactive de l’uranium . Les bactéries constituent donc un réservoir énorme de diversité avec une impressionnante étendue d’habitats colonisés, grâce à des métabolismes énergétiques très variés et une large palette de processus biochimiques et moléculaires. Cette diversité est à l’origine de la capacité des bactéries à dégrader ou à transformer de nombreux polluants organiques mais aussi inorganiques, comme les complexes métalliques.

Dans l’environnement, il est encore très difficile de prévoir l’action des bactéries sur les métaux. D’une part la diversité rencontrée est très étendue et d’autre part, une très faible fraction (1 % en moyenne) des bactéries peut être cultivée en conditions de laboratoire, ce qui limite énormément la connaissance des métabolismes existants. La mise en place de procédés de bioremédiation implique donc dans un premier temps de mieux comprendre les interactions entre bactéries et métaux, puis d’identifier des candidates intéressantes avant d’appuyer leur action dans les sols par différentes méthodes. Parmi celles-ci, la biorestauration a pour but de favoriser le développement des bactéries indigènes par ajout de nutriments spécifiques. La biostimulation consiste à réensemencer des populations prélevées sur site et cultivées en laboratoire tandis que la bioaugmentation consiste à injecter des bactéries exogènes adaptées à la pollution à traiter dans les sols.

Les interactions bactéries - métaux

Il existe différents types d’interactions entre bactéries et métal. Sous le terme de biotransformation, on retrouvera des mécanismes de modification de la forme chimique du métal (ou spéciation du métal), soit par oxydation ou réduction, soit par substitution des ligands du métal (agents complexants), soit, comme dans le cas du mercure, par changement de phase (volatilisation).

Réduction des métaux toxiques : l’exemple de l’uranium

Pour une grande majorité de métaux, la forme réduite est beaucoup moins soluble que la forme oxydée. C’est le cas en particulier pour l’uranium, le technétium, le plutonium et le chrome. Les réactions de réduction des oxydes métalliques sont ainsi très étudiées pour envisager la maîtrise de la dispersion des métaux toxiques dans l’environnement. Dans le cas de l’uranium, la forme soluble trouvée dans les sols, l’uranyle UO22+ [U(VI)], est réduite en UO2 [U(IV)] qui peut précipiter sous une forme minérale, l’uraninite. Cette réaction de réduction a pu être mesurée in situ après stimulation des populations bactériennes indigènes de sédiments ou d’eaux pollués. On connaît aujourd’hui plusieurs dizaines d’espèces réductrices d’ uranium qui présentent une grande diversité phylogénétique. Parmi celles-ci, on peut citer Desulfovibrio desulfuricans, Geobacter metallireducens et sulfurreducens ainsi que Shewanella oneidensis pour les plus étudiées .

Les mécanismes moléculaires de la réduction ne sont encore que très partiellement caractérisés, voire inconnus pour certains. La grande majorité des études disponibles concerne la réduction de l’uranium en anaérobiose. Ce processus a été décrit pour la première fois il y a une quinzaine d’année . Certaines espèces comme G. metallireducens, G. sulfurreducens et S. oneidensis sont capables de coupler cette réduction à la production d’énergie. On parle alors de réduction dissimilatrice. Ce sont des enzymes de la chaîne respiratoire, les cytochromes C, qui interviennent dans la réaction . Chez la bactérie sulfatoréductrice D. desulfuricans, la réduction de l’uranium implique un transfert d’électrons depuis un cytochrome de type-C3 vers une hydrogénase, mais n’est pas productrice d’énergie .

Ces mécanismes qui ont lieu à la surface des cellules sont intéressants mais les formes réduites de l’uranium sont susceptibles, dans le milieu d’observation et dans les sols, d’être rapidement réoxydées en présence de faibles concentrations d’oxygène. C’est pourquoi des mécanismes de réduction intracytoplasmique, qui permettraient d’obtenir des formes plus stables d’uranium réduit, sont également recherchés. On sait ainsi, depuis peu, que la chromate réductase catalyse aussi la réduction de l’uranyle UO22+ dans le cytoplasme de certaines bactéries comme Escherichia coli et Pseudomonas putida .

L’oxydation et la biolixiviation

À l’inverse de la réduction, l’oxydation des sulfures métalliques peut être intéressante pour extraire les toxiques métalliques par remise en solution. Il s’agit de la biolixiviation. Cette approche est utilisée pour traiter des stériles miniers ou des eaux acides de drainage de mines. Les bactéries peuvent être utilisées de façon directe ou indirecte pour réaliser la biosolubilisation de métaux toxiques ou précieux.

Les microorganismes qui participent à ces transformations sont principalement des bactéries du genre Thiobacillus (ferrooxidans, thiooxidans, acidophilus) ou Leptospirillum (ferrooxidans). Elles se développent dans des environnements très acides (1 < pH < 2) et supportent de fortes concentrations en métaux toxiques comme le cadmium, l’uranium ou le thorium.

Acidothiophilus ferrooxidans a été découverte en 1947 dans les drainages acides de mines de houille grasse. Ces bactéries sont chimiolithotrophes : elles utilisent l’énergie issue de l’oxydation du Fe2+ et/ou du soufre S0 pour synthétiser des molécules organiques à partir du dioxyde de carbone.

La solubilisation des sulfures métalliques peut être directe ou indirecte, selon que les bactéries oxydent directement les sulfures métalliques (MeS2) ou qu’elles oxydent la pyrite (FeS2) en sulfate ferrique. Les solutions acides riches en Fe3+ oxydent à leur tour les sulfures métalliques (Zn, Cd, Ni, Pb, Cu, Au, Mn, U). Des opérations commerciales de biolixiviation existent au Brésil, en Chine, au Pérou et au Ghana pour des métaux comme l’or, le cobalt et le nickel . De nouvelles approches en bioréacteur utilisent des bactéries thermophiles ou des archées qui se développent à des températures élevées pour optimiser les réactions de biolixiviation (Thiobacillus caldus à 45-50°C, Sulfolobus metallicus à 70-80°C, ou Acidianus brierleyi à 70-90°C). La biolixiviation de stériles miniers (d’uranium, par exemple) résulte de la nécessité de développer des processus avantageux sur le plan économique. Ces processus sont rentables pour des minerais contenant de 0,05 % à 0,15 % d’oxyde d’uranium U3O8 .

La biominéralisation et la bioimmobilisation

De nombreux articles témoignent de la capacité des bactéries à catalyser la formation de précipités minéraux insolubles contenant un métal, ce qui peut représenter un procédé intéressant pour immobiliser et confiner un métal toxique. C’est le cas notamment pour l’uranium puisque l’on peut obtenir des précipités insolubles même pour la forme oxydée UO22+.

Un mécanisme connu depuis longtemps, et utilisé pour des procédés de bioremédiation, consiste en l’exploitation de la capacité des bactéries sulfatoréductrices à produire, au cours de la réduction anaérobie du soufre élémentaire ou du sulfate, du sulfure d’hydrogène (H2S) qui fait précipiter les cations métalliques (Me2+) sous forme de sulfures MeS2 insolubles.

Ce mécanisme existe chez des espèces affiliées aux genres Desulfovibrio et Desulfotomaculum. Il a ainsi été montré dans des échantillons de sols et d’eau que ce couplage de réactions, initié par des bactéries sulfatoréductrices, peut entraîner la précipitation de l’uranium et du zinc in situ . Ce dispositif est utilisé dans plusieurs exploitations, en Amérique du Nord et au Mexique, pour extraire des métaux à des fins industrielles (Cu, Zn, Ni, Co) ou pour retirer des éléments toxiques comme As, Pb, Cd, Mn . Un des avantages est que le sulfure d’hydrogène généré par les bactéries coûte moins cher que sa source chimique NaHS. D’autre part, la mise en place d’un système de bioréacteur indépendant permet d’optimiser la culture des bactéries et d’adapter le système au volume d’eau à traiter.

Des phénomènes de biominéralisation en aérobiose ont également été décrits chez Pseudomonas aeruginosa ainsi que chez diverses souches affiliées aux genres Citrobacter, Rahnella, Bacillus et Arthrobacter. Chez ces bactéries, la formation intra- ou extracellulaire de précipités minéraux insolubles de phosphate d’uranyle a été observée.

Dans le cas de Citrobacter, la réaction met en jeu une phosphatase acide membranaire qui catalyse la synthèse de phosphate dans le périplasme . Le phosphate se complexe avec le métal, formant des précipités insolubles de NaUO2PO4 ou NH4UO2PO4. Ces complexes s’accumulent alors en microcristaux à la surface de la cellule selon un processus de nucléation impliquant les lipopolysaccharides . Pour P. aeruginosa, le mécanisme de formation des précipités met en jeu le système de synthèse / dégradation des polyphosphates cellulaires, catalysé par la polyphosphate kinase (Ppk). Lorsque le phosphate est libéré, le phosphate d’uranyle s’accumule à la surface de la cellule. Dans ce cas, à la différence de ce qui a été décrit chez Citrobacter, le phénomène de biominéralisation peut avoir lieu même si les bactéries sont mortes, ce qui permet d’envisager d’utiliser ces cellules comme pièges à uranium pour décontaminer des solutions aqueuses . Des précipités d’uranium ont également été observés chez Rhodobacter palustris.

La chélation à la surface des bactéries

La chélation est un phénomène de fixation à la surface des bactéries indépendant de l’activité biologique des bactéries. Certaines bactéries à gram positif (Arthrobacter nicotianae, Bacillus subtillis ou Micrococcus luteus) fixent ainsi des quantités importantes d’uranium à leur surface et ce, qu’elles soient vivantes ou mortes. Pour d’autres bactéries à gram négatif, la chélation de l’uranium implique les lipopolysaccharides de la paroi, comme cela a été décrit pour Pseudomonas aeruginosa ou Rhizobium . Ce phénomène de biosorption, notamment lorsqu’il est réversible, présente un intérêt particulier pour la bioremédiation des eaux.

Les protéines de surface d’une souche de Bacillus sphaericus, JG-A12, isolée d’un sol contaminé par l’uranium, fixent jusqu’à 20 mg d’uranium par gramme de protéine et fixent également des métaux nobles (palladium, platine, or). À la surface des cellules, cette protéine s’auto-organise en un réseau pseudo cristallin qui délimite des pores de 2 à 8 nm de diamètre. L’uranium ainsi que d’autres métaux sont fixés au niveau de ces pores. Une approche pour inclure ces protéines ou les bactéries dans des biocéramiques a été développée à l’institut de radiochimie du centre de recherche de Rossendorf, en Allemagne, et pourrait être utilisée pour traiter des eaux contaminées par l’uranium.

Chercher de nouvelles souches

Les techniques de bioremédiation d’eaux ou de sols pollués utilisant des bactéries sont très prometteuses, d’une part parce que ces approches peuvent concerner une vaste gamme de métaux, d’autre part parce qu’elles engendrent de faibles coûts de traitement. La très grande diversité d’espèces bactériennes et leur capacité à vivre dans des environnements extrêmes permet d’envisager l’utilisation de la bioremédiation dans un grand nombre de situations polluées. Dans ce cadre, une meilleure connaissance des métabolismes impliqués dans la biotransformation des métaux traces et radionucléides toxiques est un préalable nécessaire pour optimiser les stratégies utilisées. Une voie de recherche concerne l’identification de nouvelles souches bactériennes et l’étude au niveau moléculaire des mécanismes de transport et de chélation des métaux. Enfin, une autre voie de recherche concerne l’analyse des comportements des communautés bactériennes dans leur ensemble pour mieux appréhender la complexité des situations observées dans les sols pollués et prévoir l’impact des approches de bioaugmentation ou biostimulation.