La biologie moléculaire à la lumière des biotechs

La biologie moléculaire connaît un certain nombre d’ applications au sein du laboratoire d’analyses biomédicales. Les technologies qui lui sont afférentes analyses d’amplification des acides nucléiques, FISH, puces à acides nucléiques... - apportent aujourd’hui des solutions là où les techniques classiques sont en échec. La postgénomique génère des cibles nouvelles, induisant davantage de proximité avec la recherche fondamentale dans le cadre du développement et de la valorisation. Que peut-on attendre demain de la biologie moléculaire au laboratoire d’analyses biomédicales ? Quels enjeux thérapeutiques et économiques ? Quelles promesses et quels freins ? Quelques réponses fournies pour l’ heure par les biotechnologies.

Après le phénomène de révolution apporté par les techniques de PCR (Polymerase Chain Reaction), RT-PCR (Reverse Transcriptase-PCR) et NASBA (Nucleic Acid Sequence Based Amplification), ce sont les puces à acides nucléiques, nouvelles arrivées sur le marché qui généreront les prochaines grandes évolutions dans le domaine du diagnostic, en vue d’ une meilleure adaptation des thérapies selon le profil génétique des patients pense Xavier Revest, consultant chez Alcimed.

Biologie moléculaire et cancers

De nouvelles puces à acides nucléiques permettent aujourd’hui d’observer le profil des tumeurs, à l’instar des puces MammaPrint® et CupPrint® développées par la société hollandaise Agendia. La première permet de décider de traiter ou non par chimiothérapie une patiente atteinte d’un cancer du sein. Grâce au profil d’expression génique établi à partir d’un prélèvement tumoral il est possible de définir l’agressivité du cancer. En évitant alors d’administrer inutilement un traitement lourd aux effets secondaires importants, le gain se révèle sur le plan thérapeutique en efficacité et sur le plan du confort en qualité de vie.

Une approche directe

La puce CupPrint® est quant à elle dédiée aux « cancers de primitif inconnu », soit de toutes les tumeurs d’origine inconnue : elle repose sur l’analyse du profil d’expression génique des métastases d’un patient, comparé à une base de données, de sorte à orienter l’anatomopathologiste en échec de diagnostic précis. Or, le traitement générique, avant tout palliatif mais non curatif, offre une médiane de survie de six mois... et l’arsenal thérapeutique étant épuisé, le thérapeute se trouve donc confronté à une impasse. L’utilisation de ladite puce permet alors de définir le type de cancer grâce à la cartographie obtenue à partir de l’ARN tumoral, et ainsi d’adopter la chimiothérapie adéquate. « Il s’agit là d’une approche complètement directe par la biologie moléculaire, souligne Xavier Revest, qui permet d’identifier le site primitif de la tumeur et d’optimiser ainsi la prise en charge des patients par l’administration de traitements spécifiques ciblés. »

Confinée à la recherche

Aussi prometteuse semblet-elle, l’utilisation des puces à acides nucléiques se trouve cependant essentiellement confinée à la recherche. « Le plus gros obstacle demeure le poids des habitudes des médecins » observe Xavier Revest, ajouté au fait que la technologie des puces à acides nucléiques s’avère encore peu commercialisée car très lourde, relativement chère... et, il y a encore quelques années, insuffisamment fiable. Mais la tendance semble être en phase de se renverser, car plusieurs équipes se concentrent sur les puces à ADN destinées à affiner les traitements en cancérologie (dont les leaders Affymetrix et Agilent), menant à une réduction globale du coût - auparavant d’environ 1 000 euros par patient et à une économie d’échelle grâce au greffage de plusieurs puces sur un même support. Aussi trois sociétés, Integragen, Ipsogen et MCL sont-elles en phase de commercialiser leur puce de diagnostic cancéreux, tandis que le géant pharmaceutique Roche a déjà obtenu son autorisation auprès de la FDA.

Optimiser les coûts

L’échéance pour une utilisation large des puces ADN est encore incertaine, car les facteurs de prédiction sont multiples, incluant le niveau d’information, le prix et la facilité d’accès.

L’emploi de tests moléculaires s’est toutefois imposé dans certains cas de figure bien précis . « La problématique du coût est compliquée, car un test sur puce ADN, certes plus onéreux qu’un test immunohistochimique, pourrait à terme générer des économies dans la prise en charge globale du patient », nuance Céline Schiff, responsable de mission chez Alcimed. « Le test ProfileDX™ d’ Ipsogen, premier test prédictif de la réponse à la chimiothérapie, a justement été développé dans l’optique d’optimiser le coût et de maîtriser la toxicité dans le traitement du cancer du sein », ajoute Vincent Fert, PDG de la société marseillaise Ipsogen.

Focus « leucémies »

Les tests PCR affichent également toute leur utilité pour le suivi de maladies graves telles que les leucémies, comme en atteste le kit BCR-ABL M-bcr mis au point par Ipsogen. « Ce kit est devenu le standard européen pour le suivi de la maladie résiduelle chez les patients atteints de leucémie chronique myéloïde (LCM, ou CML en anglais) actuellement traités par Gleevec® (Novartis) », explique Marc Essodaigui, directeur commercial et marketing Oncogenomics chez Ipsogen. Le kit M-bcr FusionQuant™ est ainsi conçu pour la quantification du transcrit BCR-ABL p2l0 dans les échantillons de moelle osseuse ou de sang périphérique de patients atteints d’une leucémie myéloïde chronique pour lesquels une translocation t(9;22) a précédemment été diagnostiquée.

Une standardisation en cours

L’intégration de ce test de biologie moléculaire utilisant la RT-PCR quantitative (RQ-PCR) pour mesurer le biomarqueur spécifique de la maladie permet donc à la fois de suivre l’efficacité d’un traitement chez un patient sous thérapie et de suivre la maladie résiduelle afin de contrôler une éventuelle rechute. « La standardisation est en phase de finalisation avec la contribution de 25 centres de cancérologie en Europe, parmi lesquels les hôpitaux Necker et Saint-Louis à Paris, le Centre Léon-Bérard à Lyon, l’Institut Paoli-Calmettes à Marseille et l’Institut Bergonié à Bordeaux », souligne Vincent Fert. La disponibilité d’un protocole standardisé pour la RQ-PCR va faciliter la comparaison des données entre les différents centres, rendant possible la définition d’un seuil pour lequel le patient est susceptible de rechuter, et finalement d’ évaluer l’impact d’une intervention thérapeutique précoce basée sur la cinétique du transcrit de fusion M-bcr. Notons enfin que la société Ipsogen dispose d’un portefeuille d’une dizaine de tests de diagnostics moléculaires dédiés à différentes catégories de leucémies et de tumeurs solides (cancer du sein).

Exemple de développement et sida

Dédiés à la mesure de la charge virale VIH, les tests NucliSens EasyQ® développés par BioMérieux sont basés sur l’amplification et la détection spécifique de l’ARN en temps réel. Ils autorisent donc le suivi biologique du paramètre clé que représente la charge virale, indispensable à l’évaluation de l’efficacité d’un traitement aux antirétroviraux. Jusqu’alors, un des principaux freins à la mise en place de ce dosage dans les laboratoires était la complexité des techniques existantes et l’infrastructure spécifique requise.

Une détection en temps réel

L’apparition sur le marché des techniques d’amplification / détection en temps réel a donc apporté sa petite révolution en diminuant les temps de mesure, tout en facilitant la manipulation et réduisant les contraintes liées à l’utilisation de la biologie moléculaire . Premier kit mis sur le marché à utiliser la détection en temps réel, NucliSens EasyQ HIV-1 apporte une solution adaptée et simple à mettre en oeuvre au sein du laboratoire d’analyses biomédicales. « La gamme biologie moléculaire représente une activité significative avec une certaine ambition de croissance », précise Michel Bonnier, responsable marketing France chez BioMérieux.

Le facteur temps

Certes les nouvelles technologies remodèlent en permanence le paysage du diagnostic, notamment via la génomique et la protéomique... mais la constante de temps d’application en routine ne cesse aussi d’augmenter. La question reste donc de définir l’ impact dans le temps des technologies de biologie moléculaire sur le marché. Une partie de la réponse viendra probablement de l’intégration et l’automatisation de ces technologies.

Intégration et décentralisation

L’intégration ? C’est ce sur quoi mise entre autres le laboratoire BioMérieux, qui a initié une activité dans ce domaine en partenariat avec le CEALETI, en combinant techniques conventionnelles et micro-technologies. Dans ce cadre, BioMérieux s’est déve-loppé à Grenoble via sa filiale Apibio, dont les acti-vités ont récemment été réintégrées au sein de son nouveau centre de biologie moléculaire et microsystèmes, à savoir dans le polygone scientifique à proximité du pôle des micro- et nanotechnologies.

L’une des tendances actuelles est le développement de systèmes compacts permettant de décentraliser le diagnostic au chevet du patient : ceci est rendu possible par le développement de nouvelles technologies incluant la détection électrochimique, l’optronique et les biopuces.

Un bénéfice majeur

Une telle intégration offre un bénéfice majeur à plusieurs titres.

  • Les résultats sont rendus dans des délais plus courts, permettant un traitement plus approprié et plus rapide pour le patient.
  • L’analyse, plus facile à effectuer, réduit le temps nécessaire pour transformer une demande de test en une information exploitable. Elle est en outre « transportable », permettant ainsi d’effectuer des tests de diagnostic dans des lieux ne disposant pas des conditions optimales caractéristiques d’un laboratoire (par exemple : tests sur le terrain, dans des pays émergents, etc.).
  • De multiples tests peuvent être conduits simultanément, augmentant alors le nombre d’informations fournies pour une meilleure prise en charge du patient. Une somme de connaissances exploitables grâce aux récentes découvertes en génomique, qui exigent une identification simultanée de centaines ou de milliers de cibles génétiques (telle pour une empreinte de l’expression des gènes).

Innover pour simplifier

Tel est le leitmotiv de l’unité mixte « Hospices Civils de Lyon-BioMérieux ».

Dédiée à la recherche en immunogénomique et à l’inflammation, l’équipe a notamment déjà mis au point un typage génétique simplifié des marqueurs de sévérité de la polyarthrite rhumatoïde. L’innovation majeure réside en une simplification de la méthode qui permet désormais de se contenter d’une quantité de sang aussi minime que celle contenue dans un dépôt sur un papier buvard, au lieu des 40 ml de sang auparavant requis. Cette innovation ouvre bien entendu la voie à une utilisation plus large, y compris chez l’enfant.

Dans le domaine des marqueurs génétiques

Au sein de l’unité « nouvelle génération public / privé, BioMérieux met à disposition le développement technologique dans le domaine des marqueurs, en particulier génétiques, tandis que les Hospices Civils de Lyon apportent leur accès au malade ainsi que les compétences médicales et scientifiques sur les thèmes cliniques choisis. La troisième composante reste, elle, ouverte - puisque concernant l’aspect thérapeutique - à diverses collaborations avec l’industrie pharmaceutique, en phase avec les axes de recherche affichés : polyarthrite rhumatoïde, diabète, réponse inflammatoire et sélection de patients répondeurs ou non à un traitement.

La place des sociétés biotechs

« Le paysage pharmaceutique a beaucoup changé, de part les fusions et l’externalisation d’innovations » - affirme Serge Petit, directeur de la société de biotechnologies Idéalp Pharma implantée à Lyon. « Là où l’industrie pharmaceutique allait auparavant chercher des compétences ponctuelles, elle privilégie aujourd’hui l’achat d’activités pharmacologiques validées » explique-t-il. Cela explique l’interaction de plus en plus fréquente des laboratoires de recherche avec divers partenaires, publics et privés.

Le maillon manquant

« Un autre paramètre est que les chercheurs vont désormais à l’échelle atomique, ce qui nécessite une multidisciplinarité et des compétences pointues » ajoute Serge Petit, d’où l’idée de réunir de multiples compétences sur un même site, ce qui fut à l’origine du projet de plate-forme LYDD (Lyon Drug Discovery) initié par Idéalp Pharma. Pour des sociétés de biotechnologies, cela suppose l’intégration de compétences chimiques, bioinformatiques et de drug discovery pour générer des dossiers pharmacologiques selon le cahier des charges des sociétés pharmaceutiques. Selon lui, « les sociétés de biotechnologies restent le maillon manquant entre recherche académique et laboratoires pharmaceutiques ».

Une discipline prometteuse

Aussi la stratégie avancée par Idéalp repose-t-elle sur un trépied constitué d’un appui protéomique (apporté par le CGMC - Centre de Génétique Moléculaire et Cellulaire), d’une compétence analytique (grâce à ADMET - Absorption Distribution Metabolism) et d’une composante chimie médicinale. « La recherche fondamentale doit tout faire pour transférer ses technologies aux sociétés de biotechnologies sans s’y substituer » insiste Serge Petit, mais « un projet d’innovation ne conduit pas forcément à une création d’entreprise ».

Fondamentalement, la biologie moléculaire s’affiche prometteuse... et ne demande qu’à s’appliquer, se démocratiser et se diversifier !